Donner la parole aux enfants là où le silence règne. Pour Soluble(s), Laurent Boyet, capitaine de police et fondateur de l’association Les Papillons, présente un dispositif qui permet aux enfants victimes de violences de briser le silence. Plus de 600 établissements scolaires et périscolaires en France accueillent ces boîtes aux lettres blanches ornées de papillons verts et bleus, où les enfants peuvent écrire librement sur les violences qu’ils subissent.
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Un problème étendu et inquiétant
Les violences faites aux enfants concernent des centaines de milliers de mineurs chaque année. Plus de la moitié des signalements faits aux boîtes Papillons concernent le harcèlement scolaire, un phénomène qui touche près d’un million élèves chaque année en France, selon le ministère de l’Éducation nationale.
Viennent ensuite les violences physiques, souvent liées à des punitions parentales excessives, qui représentent environ 25 % des signalements au près de l’association.

Un mot de signalement rédigé par un enfant, déposé dans une boîte aux lettres Papillons. Document : Association Les Papillons / Facebook.

Image IA générée avec Grok.
Les violences sexuelles, majoritairement intrafamiliales, comptent pour environ 13 à 15 % de ces témoignages écrits déposés dans les boîtes Papillons.

Illustration : Pexels.
Chaque année, en France, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, dont 77% au sein de la famille, d’après les estimations de la CIIVISE reprises dans le plan gouvernemental 2023-2027. Par ailleurs, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes, et malheureusement un enfant meurt tous les cinq jours des suites de violences infligées par un proche.
Un parcours personnel à l’origine d’une démarche
Laurent Boyet s’appuie sur un vécu personnel pour porter sa mission. Victime de viols par son frère entre 6 et 9 ans, il raconte : « Il m’a fallu plus de trente ans pour trouver le courage, la force de libérer ma parole« . Cette expérience tient une place centrale dans son engagement : « Je me suis promis de tout mettre en œuvre pour que les enfants d’aujourd’hui ne traversent pas les mêmes déserts que moi. Déserts de honte, de culpabilité, de solitude”.

Crédit : DR.
L’écriture a joué un rôle salvateur dans son propre parcours. Enfant, il consignait dans un journal intime ce qu’il n’arrivait pas à exprimer oralement. Plus tard, c’est encore par l’écrit, dans une lettre adressée à sa fiancée en 2006, qu’il a rompu son silence. « Je ne pouvais pas m’entendre dire ce que mon frère me faisait. En revanche, l’écrire, c’était pour moi quelque chose que je pouvais faire« , explique-t-il.
Le poids de la parole et l’importance de l’écrit
Face à l’emprise des agresseurs, la parole orale reste souvent impossible et toujours épreuve difficile. « Parler, c’est quelque chose qui nous est instinctivement interdit par nos agresseurs« , explique-t-il. L’écriture, en revanche, offre une voie de sortie : « C’était aussi une façon de le sortir littéralement de moi, de le mettre sur une feuille. » Ce constat a guidé la création des boîtes aux lettres Papillons, placées dans les écoles, structures périscolaires et clubs sportifs. Directement à portée de main, à hauteur d’enfant.
L’écrit présente un autre avantage essentiel : il est accessible aux plus jeunes. « Les enfants, quand ils sont jusqu’en CM2, la plupart du temps n’ont pas de téléphone« , souligne Laurent Boyet. Pour composer le 119 ou le 3018, ils devraient emprunter un téléphone à un adulte qui leur demanderait inévitablement pourquoi, risquant de les mettre en danger. L’écrit contourne cette difficulté.
Fonctionnement et garantie de sécurité
Les boîtes aux lettres Papillons sont installées dans des lieux fréquentés par les enfants. Chaque municipalité signe une convention avec l’association et désigne des référents, souvent des policiers municipaux, chargés de relever les messages deux fois par semaine. Ces messages sont immédiatement cryptés puis transmis à un pôle d’analyse au siège, où des psychologues prennent le relais.
L’enfant est invité à laisser son nom, son prénom et son niveau, il précise s’il écrit pour lui-même ou pour un tiers.
Une session de sensibilisation préalable rappelle l’importance de la démarche sérieuse. Pour garantir la sécurité, le personnel qui récupère les mots n’appartient pas à l’école, évitant tout lien direct avec le milieu éducatif.
« Selon la gravité, nous, on ne passe pas par la case famille« , précise Laurent Boyet. En cas de danger grave, l’association déclenche une procédure d’alerte auprès des services sociaux, voire un signalement judiciaire immédiat.
Une affaire emblématique
Une affaire judiciaire témoigne de l’efficacité du dispositif. En juin 2022, une fillette de dix ans, Lily, a écrit un mot dénonçant les viols de son grand-père.
Dans ce message, elle décrit précisément la nature des violences avec cette phrase glissée dans la boite aux lettres Papillons : « Il met sa partie du bas à lui dans sa partie du bas à moi« .

Capture d’écran sites : Le Parisien & franceinfo.
Cette dénonciation a permis une réaction judiciaire rapide : le procureur a été saisi le vendredi, les services de gendarmerie le lundi, l’arrestation le mercredi. L’homme de 74 ans est condamné en septembre 2024 à douze ans de réclusion criminelle. « Quand il n’y a pas d’intermédiaire entre la parole de l’enfant et la justice, les choses se passent et elles se passent vite et elles se passent bien » explique Laurent Boyet.
La Maison Papillons, un lieu d’accompagnement complet
Ouverte à la rentrée 2024 à Saint-Estève, près de Perpignan, la Maison Papillons offre un accompagnement spécialisé aux victimes et à leurs familles. Psychologues, thérapeutes utilisant parfois l’hypnose ou l’EMDR, et avocats y travaillent en synergie.
Le but est d’accompagner sur le long terme, avec des consultations individuelles, groupes de parole hebdomadaires et conseils juridiques. L’attention portée aux parents est aussi essentielle : « C’est compliqué quand on a soi-même un genou à terre, c’est compliqué de pouvoir aider ses enfants quand on est à terre soi-même« , souligne Laurent Boyet qui a placé cette Maison Papillons sous le signe de la reconstruction.
Vers une convention avec l’Éducation nationale ?
L’association œuvre en partenariat avec les municipalités, propriétaires des écoles, pour déployer son dispositif. Une convention avec la Direction générale de l’enseignement scolaire est en cours de discussion pour intégrer les sensibilisations dans le temps scolaire. Ce partenariat permettrait de coordonner les interventions avec les référents pHARe (programme de lutte contre le harcèlement) et d’alerter directement les infirmières et psychologues scolaires en cas de situation préoccupante dans leur secteur.

Crédit : DR.
Une volonté collective à renforcer
Malgré les avancées, la mobilisation reste difficile. Laurent Boyet observe que « la société doit vraiment, un jour ou l’autre, décider de faire face aux violences qui sont faites aux enfants« . La phrase « Je te crois » demeure au cœur de l’écoute nécessaire : » Les victimes ont juste envie d’entendre des personnes qui leur disent ‘je te crois’ « , rappelle-t-il.
Écoutez.
Simon Icard (rédigé avec IA)
POUR ALLER PLUS LOIN
- Voir le site Internet de l’association Les Papillons
- Suivre l’association sur Instagram
Numéros à connaître (France) :
– Le numéro d’appel 119 pour les enfants et ados en danger : ouvert 24 h sur 24, 7 jours sur 7 pour les enfants, adolescents et jeunes majeurs (moins de 21 ans) victimes de violences psychologiques, physiques, sexuelles ou en situation de danger.
Ce numéro s’adresse également aux proches susceptibles de signaler une violence commise sur un enfant.
ET www.allo119.gouv.fr
– Le 30 18 est le numéro national contre toutes les formes de harcèlement, y compris cyberharcèlement, concernant les jeunes, enfants et adolescents.
Gratuit, anonyme et confidentiel, il est ouvert aux élèves, parents et professionnels 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures, pour tout renseignement ou signalement.
et par chat sur e-enfance.org/besoin-daide/
En cas de danger grave ou imminent
– Police secours : 17 ou 112
– Pompiers : 18 ou 112
– SAMU (urgence médicale) : 15 ou le 114 par sms pour les personnes sourdes et malentendantes.
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Et aussi le site de la CIIVISE, La Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants : ciivise.fr
Lire le livre de Laurent Boyet
Tous les frères font comme ça… (Hugo Doc)
TIMECODES
00:00 Introduction
01:45 Le parcours personnel de Laurent Boyet
02:42 L’importance de l’écrit pour libérer la parole
05:18 La notion de « je te crois » et le crédit accordé à la parole des enfants
06:55 Le fonctionnement du dispositif des boîtes aux lettres Papillons
13:50 L’impact des boîtes aux lettres et la prévalence du harcèlement scolaire
16:09 L’affaire Lily, un cas emblématique de l’efficacité du dispositif
19:45 Le rôle de la Maison Papillon dans l’accompagnement des victimes
22:14 La mobilisation de la société et des autorités publiques
25:14 Comment soutenir l’association Les Papillons
27:34 Merci à Laurent Boyet !
29:18 Fin.
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